Franchement, en commençant cette lettre, je n'avais pas envie de vous appeler de cette manière. Ce titre implique en effet
un minimum de respect. Je le fais néanmoins parce que c'est vous qui vous exprimez
au nom des Iraniens. Sur les photos, je vous vois devant des foules, des visages, des mains levées. Sans doute peut-on y deviner
une forme d'enthousiasme, en tout cas d'adhésion. Nous
avons, en Europe, connu ces foules. C'était un mauvais moment pour nous. Une
période tragique dont nous continuons a porter la honte et I'angoisse. L'un des peuples les plus cultives du monde, un peuple qui avait élevé à un haut degré la philosophie,
la musique, la poésie, la science, un peuple qui avait étonné ses voisins par son rayonnement, avait sombré dans
la haine, la folie raciale, I'ignominie. Des dizaines de millions d'individus ont subi, dans leur chair, leur culture, leur dignité, cette étrange barbarie qui
se voulait un ordre nouveau. Ce furent d'abord les propres ressortissants
de cet Etat, des Allemands, puis peu à peu les autres, tous les autres... On appela cette folie une guerre mondiale. Mais
ce fut surtout une guerre contre ce qu'il y avait d'humain
en nous. Les livres furent brûlés, les enfants déportés et assassinés, les intelligences brisées. Tout ce qui faisait
I'honneur de I'homme fut piétiné. Et
puis...
Et puis, j'en viens a vous : une partie de I'espèce humaine, le peuple juif, fut destiné à I'enfer.
Oh, je vous le concède : une petite partie. Ce n'était ni les plus nombreux ni
les plus riches, ni même les plus influents. C'étaient des hommes et des femmes
qui avaient porté très longtemps et très loin leur foi, leurs questions sur le monde, sur Dieu, sur la nécessité de vivre
ou de souffrir, sur le bonheur d'aimer. Généralement ils fréquentaient les
livres. Ils refleurissement beaucoup. Ils ne comprenaient pas bien pourquoi on ne les aimait pas, pourquoi on les appelait
des «sous-hommes », des Untermensch, pourquoi on les considérait comme des insectes... Ils furent pourchassés dans toute I'Europe, pendus, fusilles, brulés...
Vous savez parfaitement tout cela. Mais je I'évoque
devant vous pour trois raisons au moins : La première, c'est que nous (je
dis « nous », c'est une façon parler) n'accepterons
pas que ça recommence. Je ne suis pas juif mais les Juifs sont, comme les Perses, mes frères en humanité. La seconde,
c'est qu'ils ont le droit, comme vous,
comme moi, d'avoir une patrie. Que ce soit la France ou Israël ne change rien à
I'affaire.
La troisième raison ne vous plaira pas. Mais tant pis : ce qu'ils
apportent au monde (et probablement c'est cela que vous voulez rayer de la carte),
c'est une conception de I'homme et de
son destin, qui a enrichi plusieurs siècles de civilisation, et qui fait honneur au peuple juif comme I'Etat
d’Israël.
Monsieur le Président, vous avez le droit d'être
nationaliste. Vous avez le droit d'être fier de I'histoire
du peuple perse. Vous avez le droit d'être croyant et de prier le Dieu « clément
et miséricordieux », comme il est dit au début de chaque sourate du Coran. Vous pensez avoir le droit de voiler les femmes,
de torturer les opposants, d'emprisonner les journalistes qui vous contredisent,
de condamner à mort des enfants mineurs, de persécuter vos minorités. Mais vous n'avez
pas le droit de porter sur Israël le regard trouble, imbécile et haineux qui accompagne vos discours. Car il me semble
que vous haïssez dans cet Etat la libre parole, la diversité des partis, le rôle de l’opposition, I'indépendance
de la justice, la recherche universitaire et sans doute aussi... le courage. C'est-à-dire
tout ce que nous sommes en droit d'admirer.
Les hommes qui ont organisé la réunion de Wannsee ou fut décidé I'anéantissement
des Juifs d'Europe sont tous morts aujourd'hui.
Naturellement, comme chacun d'entre nous, vous suivrez ce destin.
Je souhaite seulement que pour vous-même, pour le peuple perse, pour les jeunes enfants d'Iran ou d'Israël qui vous survivront, il ne vienne
a personne I'envie d'aller cracher
sur votre tombe.