Entretien avec Nonie Darwish

28 juin 2006 / 11 h 50

ENTRETIEN

Nonie Darwish : « Il est grand temps que des Arabes sponsorisent les mouvements qui luttent en faveur de la paix. Les Arabes ont besoin d'entendre la vérité de la part d'autres Arabes » Par Marc Tobiass

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Des Arabes en faveur d'Israël - oui, cela existe. C'est même le nom du site - Arabs for Israel - fondé par Nonie Darwish. Arabe et musulmane, Nonie Darwish est née au Caire et a grandi à Gaza à l'époque où Nasser promettait de détruire Israël. Son père, Mustapha Hafez Darwish, dirigeait à l'époque les services de renseignement à Gaza. C'est lui qui crée les Fedayin, ces groupes armés qui mènent des attaques en territoire israélien pour y semer la mort et la destruction. En 1956, le père de Nonie est assassiné dans la première opération ciblée israélienne. Nasser en fait un héros national et le hisse au rang de « Chahid ». La question qui revient ensuite sur les lèvres de tous les officiels arabes qui rendent visite à la famille endeuillée : « Qui vengera le sang du père tué par les Juifs ? ». Nonie Darwish vit aujourd'hui aux États-unis. Son livre - « Now they call me Infidel » - sort en novembre prochain.

Marc Tobiass - Qu'est-ce qui vous a incitée à créer le site « Arabs for Israel » ?

Nonie Darwish - Un côté recherchait la paix tandis que l'autre voulait la guerre  Ma décision est le fruit de plusieurs étapes déterminantes. Évidemment, lors de mon enfance en Égypte et à Gaza, je partageais la haine des Juifs et des Israéliens inculquée dans le milieu arabe. J'étais endoctrinée comme tous les autres. Mais quand j'ai émigré aux États-unis en 1978, j'ai commencé à réaliser qu'il y avait une autre réalité complètement ignorée par les Arabes, parce que volontairement occultée. On nous a toujours enseigné que les Juifs sont venus dans la région comme des étrangers, des occupants. Personne n'a jamais laissé entendre que les Juifs avaient des racines historiques sur cette terre du Proche-Orient. Curieuse de nature, je me suis donc intéressée à la question. Parallèlement, en vivant dans un milieu multiculturel aux États-unis, j'entendais souvent des Juifs et des Chrétiens parler de paix, de compassion, de pardon et de tolérance. Ils demandaient souvent ce que l'on pouvait faire pour parvenir à la paix avec les Arabes. En revanche, je n'entendais jamais de tels propos du côté de mes amis arabes. Il n'était question que de haine envers Israël et les Juifs. Je réalisais alors qu'un côté recherchait la paix tandis que l'autre voulait la guerre. En tant que journaliste, l'idée m'était venue d'écrire un article pour promouvoir la paix, mais je restais paralysée, de peur de me couper du milieu arabe.

Marc Tobiass  - Alors justement qu'est-ce qui a déclenché votre courage pour oser prendre la parole et dire ce qui semble être « l'irrecevable » dans le monde arabo-musulman ?

Nonie Darwish  - J'ai d'abord eu la hantise d'être confrontée à la haine des miens si je m'autorisais à dire du bien des Juifs et d'Israël. Ma première motivation à soutenir Israël remonte à une dizaine d'années. À l'époque, mon frère a eu un accident cérébral alors qu'il était de passage à Gaza. Dans son entourage, tous les Arabes lui ont dit que s'il voulait avoir une chance de survivre il ferait mieux d'aller se faire soigner à hôpital Hadassah en Israël plutôt qu'au Caire. Quand j'ai appris que l'hôpital Hadassah lui avait sauvé la vie, je me suis sentie reconnaissante envers les médecins de l'hôpital, mais aussi envers les autorités israéliennes et le peuple juif. Je découvrais un aspect de la réalité israélienne que l'on nous avait toujours caché. Une fois de plus, j'ai eu le désir de prendre la plume pour en parler, mais j'avais encore la hantise d'être confrontée à la haine des miens si je m'autorisais à dire du bien des Juifs et d'Israël.

Quelques années après, je suis retournée pour la première fois en Égypte afin de faire découvrir le pays à mes enfants nés aux États-Unis. Cela a été un choc ! Les Frères musulmans s'étaient renforcés et la société s'était radicalisée. Les discours de haine avaient empiré et se propageaient davantage alors que, parallèlement, je découvrais plus de chômage encore, de pauvreté et de corruption que par le passé. Dans la presse, aucune mention de cette réalité. En revanche, les journaux rendaient Israël et les États-Unis responsables de tous les malheurs du pays. Cela m'avait profondément déprimée, mais le pire m'attendait au lendemain de mon retour aux États-Unis, avec les attentats du 11 septembre. Je me suis réveillée avec les images d'un avion percutant la deuxième tour des Twins. Je me suis immédiatement dit que c'était là le résultat du jihad que je venais de laisser derrière moi en Égypte. Les États-Unis étaient à leur tour frappés par le poison, comme si le jihad dont j'étais issue me rattrapait en Amérique. Devant cette horreur, j'ai ressenti soudainement une grande empathie pour Israël qui est victime du terrorisme depuis plus de cinquante ans ! Et comme je savais que le public était très mal informé sur tout ce qui touche au conflit israélo-arabe, j'ai décidé qu'il fallait lui déciller les yeux, lui dire la vérité.

Marc Tobiass  - Si l'on en croit le narratif arabe, Israël subit le terrorisme à cause de l'occupation des Territoires.

Nonie Darwish - C'est faux, et je suis bien placée pour savoir que le terrorisme frappait Israël avant l'occupation des Territoires en 1967. Mon père - connu sous le nom de Moustapha Hafez - était à la tête des Fedayin dans les années 50.

En tout cas, j'étais tellement en colère après le 11 septembre que je n'ai pu m'empêcher d'écrire un article en faveur de la paix - « En faveur d'Israël ». L'article a paru sur le net et dans un journal féminin local, une publication très limitée donc…

Marc Tobiass …Quelles ont été les réactions à cet article ?

Nonie Darwish - Incroyable ! J'ai reçu des centaines de e-mails d'Amérique mais aussi d'Europe de gens qui m'apportaient leur soutien et leur bénédiction, d'Arabes qui louaient mon courage, mais qui me signifiaient qu'ils avaient trop peur pour reprendre à leur compte mon message.

Marc Tobiass - Comment expliquez-vous cette crainte des musulmans modérés à faire entendre leur voix ?

Nonie Darwish - Ils craignent l'amalgame. Ils croient que s'ils dénoncent les islamistes radicaux, on leur prêtera l'intention de dénigrer l'islam en général. Ils ont trop peur pour faire la distinction entre l'islam et l'islamisme radical.

Marc Tobiass - Pourquoi ce courant radical arrive-t-il à se faire passer comme étant la voie royale de l'islam ?

Nonie Darwish - Il y a beaucoup de contradictions dans le Coran. Le mot «Palestine» n'y figure pas alors que les enfants d'Israël y sont bénis à plusieurs reprises. Le Coran mentionne également que les enfants d'Israël seront rassemblés en Terre promise avant la fin du monde. Ce verset (17 :104) implique normalement qu'aucun musulman ne doit s'opposer au rassemblement des Juifs en Terre promise, car ce serait aller contre la volonté d'Allah. Le problème est que l'on perçoit pratiquement deux textes dans le Coran : ce que Mohamed a écrit d'abord à la Mecque - texte modéré -, et ce qu'il a ensuite écrit à Médine, beaucoup plus virulent et plein de colère. L'autre problème c'est que la majorité des musulmans ne différentient pas ces deux textes, ou alors privilégient le second qui est chronologiquement postérieur - comme s'il annulait le texte de la Mecque. Et comme il n'y a pas d'autorité suprême pour trancher en faveur d'un islam modéré et que peu de musulmans lisent réellement le Coran dans son intégralité, ils ne savent pas vraiment de quoi il est question. Ils sont le plus souvent abreuvés de sermons extrémistes.

Marc Tobiass  -Pourquoi exalte-t-on plus volontiers la violence et l'agressivité plutôt que la modération dans les rangs de l'islam ?

Nonie Darwish - À cause du sentiment qu'il faut haïr pour faire le jihad - la guerre sainte contre tous ceux qui ne sont pas musulmans -, que seuls le jihad et le martyre sont source d'honneur et de fierté. C'est l'interprétation de la majorité. Mais les tenants de cet islam profitent de la richesse et de la puissance que leur procure de nos jours le pétrole pour diffuser leur islam à travers le monde.

Marc Tobiass - Avez-vous été menacée ? Craignez-vous une Fatwa contre vous ?

Nonie Darwish - Croyez-le ou non, mais jusqu'ici je n'ai jamais été menacée. Je ne suis pas dans la liste des 33 contre lesquels des Fatwa ont été récemment décrétées en Égypte. C'est vrai, parfois j'ai peur, mais je ne peux plus rester silencieuse. De plus en plus d'Arabes et de musulmans s'élèvent contre cette barbarie. Les extrémistes vont-ils maintenant prononcer une Fatwa contre tous les Arabes qui condamnent le terrorisme ? Contre tout ceux qui réclament la liberté et la démocratie ? Je ne renoncerai plus à ma liberté d'expression de crainte de fâcher les islamistes radicaux.

Marc Tobiass - Vous avez écrit qu'il est regrettable que les Arabes n'aient pas fait preuve de leur hospitalité légendaire pour accueillir les Juifs de retour au Proche-Orient, et qu'ils auraient dû les accueillir comme une bénédiction plutôt que comme une menace.

Nonie Darwish - Oui, absolument. Ils auraient dû dire aux Juifs qu'ils étaient les bienvenus dans la région. Cela aurait été un signe de force et non de faiblesse. Ils auraient dû accueillir les Juifs qui fuyaient l'Europe après la Seconde Guerre mondiale….

Marc Tobiass - Comme les Ottomans à l'époque de l'expulsion des Juifs d'Espagne ?

Nonie Darwish - Tout à fait, et l'Empire Ottoman a prospéré ensuite pendant plusieurs siècles. Je ne comprends pas pourquoi les Arabes ont pris le parti des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Imaginez le bien que cela aurait été pour l'islam d'adopter une attitude hautement morale. Quelle aurait été sa grandeur si nous avions accueilli les Juifs désespérés qui fuyaient les persécutions ! Au lieu de cela, les Arabes ont choisi la guerre et le terrorisme.

Marc Tobiass - Et aujourd'hui vous mettez l'accent sur le danger que représente l'islamisme radical…

Nonie Darwish - …Si vous visitez mon site « Arabs for Israel », vous verrez que beaucoup d'Arabes sont en faveur de la paix, et qu'il est urgent qu'ils puissent faire entendre leur voix. Une voix opprimée jusqu'ici. Mais j'espère qu'à partir de mon initiative, de ma petite contribution, ce mouvement prendra de l'ampleur. En tout cas, tout laisse à croire que nous sommes dans la bonne direction, si j'en juge par l'affluence des messages de soutien que nous recevons.

Marc Tobiass - Diriez-vous que la lutte idéologique contre l'islamisme radical doit avant tout prendre son essor au sein du monde arabo-musulman ?

Nonie Darwish - Bien sûr, mais ce monde a certainement besoin d'une inspiration venue de l'extérieur. C'est lui qui sera le plus gravement atteint s'il refuse de se reformer. Le terrorisme ne frappe pas seulement Israël, Londres, Madrid et New York, mais aussi le tissu social et moral du monde arabe. Il le détruit de l'intérieur. Ce qui se passe aujourd'hui à Gaza en est la preuve flagrante. Avant c'était le Fatah qui accusait le Hamas d'être responsable des actes de terrorisme, aujourd'hui c'est le gouvernement Hamas qui blâme le terrorisme d'autres groupes… Dans les faits, chaque fois qu'une organisation terroriste est appelée au pouvoir, elle délègue le terrorisme à d'autres groupes.

Marc Tobiass - À vous entendre parler de la sorte, on pourrait croire que vous êtes anti-islam et anti-Arabe…

Nonie Darwish …Absolument pas ! Au contraire, je veux le retour du bien. Je pense que la culture et la politique arabe ont été empoisonnées par l'islamisme radical, et qu'il faut se mobiliser pour expurger ce poison.

Marc Tobiass - La cure sera-t-elle longue ?

Nonie Darwish - Cela va prendre beaucoup de temps, car de trop nombreuses générations ont grandi dans la culture du jihad, ce qui les empêche d'appréhender la paix et de la désirer. Ces générations ne connaissent rien des vertus de la paix. Je sais, c'est une mauvaise nouvelle, pas seulement pour Israël, mais pour le monde entier ainsi que pour les musulmans.

Marc Tobiass - Peut-on parler d'une fascination de la violence qui aurait saisi le monde arabe et musulman ?

Nonie Darwish - Quand depuis la naissance on n'entend rien d'autre que le mieux à faire est de tuer des Juifs, tuer des infidèles, de haïr l'Amérique et l'Europe, on grandit en pensant que tout cela est normal. De plus, autour de cette normalité, on instaure également la peur, la peur de tout ceux qui ne sont pas musulmans. Or en instaurant la haine et a peur dans le cœur et la tête des gens dès leur plus jeune âge, ils en arrivent à croire que le terrorisme est acceptable, qu'il est même une solution. Cet islam-là souffre d'une maladie très grave, voire autodestructive. Et si je le dis ouvertement, c'est justement parce que j'aime ma culture d'origine.

Marc Tobiass - Comment aider au mieux la cause que vous défendez ?

Nonie Darwish - D'un point de vue prosaïque en trouvant des volontaires qui m'aideraient à gérer mon site internet. J'aimerais pouvoir établir une interaction immédiate avec le monde arabe. Il serait aussi grand temps que des Arabes sponsorisent les mouvements qui luttent en faveur de la paix. Les Arabes ont besoin d'entendre la vérité de la part d'autres Arabes. Cela aurait beaucoup plus d'impact que tout ce que peut dire un élément étranger.

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