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Vie piégée Par Colette Busidan-Nabet

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Dans ce récit pimenté aux parfums d’Orient, on relève deux témoignages essentiels. Le premier concerne le statut infamant de la dhimma. « Dès la petite enfance, elle lui parla comme à une adulte. Elle aimait lui raconter le Guelma d’autrefois : les vieux quartiers, lorsque les juifs n’étaient pas encore citoyens français et que les Turcs régnaient sur la ville. Elle disait les cruches qu’on ne pouvait remplir à la fontaine avant un musulman ; l’interdiction de posséder une lanterne, donc de pouvoir sortir la nuit ; elle décrivait les savates, plus courtes que leurs pieds, que tout juif devait porter sous peine de bastonnade ».

À l’heure où la J.J.A.C.(1) s’apprête à lancer, en novembre prochain, une campagne internationale de sensibilisation à l’histoire oubliée des communautés juives en terre d’islam, il est encourageant de noter qu’ici et là, à travers le monde, les derniers témoins de ce que fut la vie juive en Afrique du Nord et au Proche-Orient, prennent la plume pour laisser, en héritage, à leurs enfants et à leurs petits-enfants, souvent disséminés aux quatre coins de la planète, le récit d’un temps, hélas définitivement disparu.

 

Ainsi en est-il du recueil émouvant et coloré de Colette Busidan-Nabet. Elle nous raconte l’Algérie d’avant le « piège » de l’exil forcé, quand la vie s’écoulait, dure mais paisible, dans une atmosphère d’éternité. Il était une fois Guelma, petite bourgade de l’Est constantinois, enserrée au pied des monts enneigés de la Mahouna et traversée par la Seybouse. Trois mille habitants : Arabes et Juifs mais aussi Italiens, Allemands et Maltais.

 

C’est là que naît, en 1898, Sarah, fille d’Israël le colporteur en  lingerie et mercerie,  féru de Thora et de Diamanti, son épouse. Sarah, cinquième enfant d’une famille qui en comptera dix. Sarah, la douée, qui sera obligée d’abandonner ses études pour subvenir aux besoins d’une famille modeste, Sarah, la fée du foyer, toujours sur la brèche en attendant le retour du père parti en tournée pour de longues journées dans la région. Sarah, la sacrifiée, qui épousera, par raison et par commodité, Ben Labbé, un veuf bien plus âgé qu’elle, quatre enfants et une mère aveugle.

 

C’était un temps où l’on cuisinait les tajines sur des braseros, les « canouns » et où les plus démunis partageaient leur maigre pitance avec ceux qui étaient encore plus malheureux. Une vie rythmée par le cycle des fêtes juives et des shabbats.

 

Pour les Juifs de Guelma, la synagogue, la sla, bâtie dans le haut du quartier arabe, avec son portique de marbre blanc soutenu par d’impressionnantes colonnes et sa vaste salle de prières était le lieu dont ils étaient le plus fiers et où ils se sentaient le plus  en symbiose avec le divin.

 

Dans ce récit pimenté aux parfums d’Orient, on relève deux témoignages essentiels. Le premier concerne le statut infamant de la dhimma. « Dès la petite enfance, elle lui parla comme à une adulte. Elle aimait lui raconter le Guelma d’autrefois : les vieux quartiers, lorsque les juifs n’étaient pas encore citoyens français et que les Turcs régnaient sur la ville. Elle disait les cruches qu’on ne pouvait remplir à la fontaine avant un musulman ; l’interdiction de posséder une lanterne, donc de pouvoir sortir la nuit ; elle décrivait les savates, plus courtes que leurs pieds, que tout juif devait porter sous peine de bastonnade ».

 

Le second évoque l’attitude de la population arabe de Guelma aux heures sombres de la Shoah. « Pendant toute la durée de la guerre, passer devant les maisons arabes pour aller chez ses frères avait servi à Sarah de baromètre des hostilités. Si l’on entendait des youyous de femmes, c’est que les troupes allemandes gagnaient du terrain, remportaient des victoires. Des complaintes s’échappaient des portes entrouvertes lorsqu’elles subissaient des revers. De nombreux chants guerriers avaient été composés à la gloire de Hitler par ce peuple colonisé qui, dans sa naïveté, croyait que les Allemands vainqueurs les délivreraient du joug français ».

 

Dans les années cinquante, avec l’apparition du nationalisme algérien, c’est une nouvelle ère qui se dessine. Sarah, réaliste, comprend très bien les motivations et les espérances des Arabes : « Ne serait-ce pas justice que la majorité des enfants de ce pays puisse faire entendre sa voix ? Les Arabes sont dix fois plus nombreux que nous, juifs et catholiques confondus et ils ne peuvent décider de rien ! »

 

L’indépendance du pays est désormais inscrite dans la marche logique de l’Histoire. Les Juifs, hélas, feront les frais de la révolte contre la France. Premières victimes des attentats aveugles, cibles privilégiées de la vindicte populaire, ils n’auront d’autre choix que l’exode dans la débandade. Repliés sur Lyon en 1963, Ben Labbé et Sarah ne récupéreront jamais leurs meubles et leurs souvenirs. La saga millénaire des Juifs de Guelma s’achève dans les frimas rhodaniens sur fond de maladie d’Alzheimer Un témoignage salutaire.

 

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions du Losange. Mars 2006. 240 pages. 16

(1) Justice For Jews From Arab Countries

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